Workshop in Buenos Aires 2003 - Réflexions
ATELIER ESPACE
Depuis quelques années j’ai animé des ateliers sur « l’espace » dans une quarantaine de ville à travers le monde. L’espace est avant tout un support et un prétexte pour réunir de jeunes professionnels : architectes, metteurs en scène et décorateurs/scénographes, autour d’un projet.
Des professionnels d’autres disciplines, éclairagistes, acteurs, administrateurs, etc…se sont parfois joins à notre travail.
Cette idée de rencontre s’est développée au fil des années passé auprès de Peter Brook. Nous avons joué partout dans le monde et j’ai visité à peu près 2000 espaces dont une grande quantité de théâtres anciens et modernes. Nous avons constaté que la plupart des lieux industriels ainsi que les théâtres du passé dégageaient une cohérence, une force et une vie que nous ne retrouvions pas dans les théâtres modernes.
J’ai cherché à comprendre pourquoi et comment y remédier*. Je pense que l’architecture s’affirme avec force lorsque qu’elle répond à un projet clair. Une usine, un hangar, une église, une ferme, ont des volumes et des formes qui correspondent à leur destination et à leur fonction. Dans le passé les théâtres étaient construits de même. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car les partenaires impliqués sont multiples chacun avec des motivations différentes et contradictoires.
Pour une municipalité, qui ne construit plus d’églises le théâtre doit être l’image ‘carte postale’ de la ville (Opéra de Sydney, Musée Guggenheim de Bilbao). Pour un architecte un théâtre est la plus part du temps un exercice où en toute liberté il va pouvoir s’exprimer. Enfin pour les utilisateurs il doit être un outil en devenir et donc difficilement définissable.
Je pense pourtant qu’on peut construire des théâtres qui satisfassent chacun dans son ego à condition de s’écouter et de se comprendre. Exercice on ne peut plus difficile, mais tel est le but recherché par ces ateliers sur l’espace.
Lors du dernier atelier en date organisé par le Festival de Buenos Aires nous avons eu plus de 100 demandes et choisi 50 personnes, ce qui pour un atelier de ce type est énorme.
Le théâtre est un travail de groupe et il nécessite du public, ce qui le distingue des autres formes d’art par cet aspect fonctionnel. En cela sans un minimum d’humilité le travail peut devenir conflictuel. Qui a raison ? Quelles idées retenir ? En fonction de quels critères ? …………*Nous venons de publier un livre ‘The Open Circle’ qui retrace cette expérience. « Tout ce qui est jeu tourne autour d’un mystère : ce qui est juste et ce qui ne l’est pas »
Pour mettre en application cette phrase de Peter Brook j’ai pensé que la seule façon de faire était justement de faire et ensuite seulement de reconnaître. Pour recevoir cet atelier le festival de Buenos Aires a trouvé un espace abandonné : les sous-sols d’un ancien quotidien. Ces sous-sols vastes et très structurés tout en poutre et colonnes recevaient à l’époque les rotatives du journal. Ils ont été aujourd’hui convertis pour accueillir des expositions.
Après une matinée consacrée à se rencontrer, les cinquante participants ont été divisés arbitrairement en trois groupes, de façon à avoir dans chacun, des architectes des décorateurs et des metteurs en scène en proportion égale.
Chaque groupe avait ensuite cinq jours pour écrire et présenter un spectacle d’environ 30 minutes. Les travaux devant être présentés l’après midi du sixième jour.
Chaque groupe avait à sa disposition des articles de journaux pour choisir une histoire, un rouleau de papier et en commun avec les autres groupes une caméra vidéo, un projecteur vidéo, un projecteur diapo, une petite sono, et quatre projecteurs. La limitation du temps et du matériel obligeant chaque groupe à penser vite et utile.
LES PREMIERS PAS : ou les premières difficultés : se mettre d’accord sur un sujet d’actualité. Le but de cet exercice est tout simplement de mettre le doigt sur une des difficultés majeures au théâtre : pour qu’un groupe avance dans son projet tous les membres doivent avancer dans la même direction.
Ici le groupe est sans leader, sans projet et sans méthode, c’est donc une joyeuse pagaille. Personne ne se connaît et chacun et là avec sa pudeur, ses inquiétudes et sa peur et ces quelques heures anarchiques révèlent les personnalités, tout en les préservant de l’émergence d’une personnalité plus forte, qui prendrait inévitablement le pouvoir quitte à dénaturer le projet. Dans le même temps ce débat très actif défini insensiblement la personnalité de chaque groupe, ce qui crée pour chacun une sorte de différenciation vis à vis des autres groupes. Point de départ pour que chaque participant aille le plus loin possible en lui et dans chacune de ses relations pendant ces six jours.
Au début du deuxième jour pour faire avancer le travail une méthode est définie : toute idée, toute image ou tout décor ne sera retenu qu’en fonction de la place qu’il occupera ensuite dans le projet global. Il s’agit là encore à ce stade d’éliminer toutes idées égocentriques ou gratuites ainsi que toute prise de pouvoir.
Travailler ensemble et écouter, aider les autres à franchir certains seuils et à ne pas s’immobiliser pour échapper aux choses. C’est un des aspects de ce travail que de mettre en lumière les vertus et la richesse du travail partagé, de la parole dans sa pleine énergie et sa signification, ainsi que l’enrichissement mutuel qui donne au théâtre un sens plus grand et plus intense. L’idée est aussi de montrer qu’une histoire ne se raconte pas seulement avec des mots mais aussi avec l’espace, l’acoustique et la lumière, de façon à impliquer dans le projet les architectes.
DEUXIEME PAS : Constituer dans chaque groupe des équipes qui vont travailler séparément :
- Une équipe pour écrire le spectacle
- Une équipe pour organiser la présentation (mise en scène)
- Une équipé pour choisir et transformer l’espace
- Une équipe pour enrichir le propos avec des images, du son ou de la lumière.
Toutes les équipes se retrouvent deux fois par jour pour échanger leurs idées et faire avancer mutuellement les idées des autres équipes et en essayant de simplifier au maximum en concentrant chaque idée.
Une des particularités du travail de Peter Brook, que j’ai partagé pendant 25ans est que l’histoire doit être en permanence portée par la totalité de ce que nous avons choisie de montrer au public. Rien ne doit être là pour rien, et finalement même les murs ont un rôle à jouer. Son travail faisant appel à l’imaginaire du public, qui est tué chaque fois que l’on montre trop.
Comment rendre visible à notre époque l’invisible sans l’aide de la technique ?
Chaque groupe doit explorer le sous-sol et choisir la partie supposée être la plus appropriée pour raconter leur histoire. Il doit aussi découvrir ce que l’espace peut apporter et déjouer les pièges tendus par l’architecture. L’équipe chargée de l’espace a, à sa disposition un rouleau d’environ 100 mètres de papier blanc ou de papier kraft lui permettant de limiter, décorer ou transformer l’espace choisi, ainsi que du matériel vidéo, de son et de lumière.
La vidéo est là comme une tentation, dans une société gorgée d’image la tentation est grande de s’en servir. Or la vidéo sur scène à des limites et cet atelier permet aussi d’explorer ce nouvel espace.
JEAN-GUY LECAT Paris, septembre 2003